top of page
Cécilia Burgaud

Les cagnottes solidaires ou participatives face au droit fiscal


Ces dernières années, les plateformes offrant des services de gestion et de diffusion des cagnottes solidaires font le plein d’utilisateurs. Nous sommes, tous régulièrement invités, à contribuer pour participer au lancement d’un projet solidaire, ou pour aider des personnes en difficulté.


Ces cagnottes en ligne répondent à un besoin exprimé par les français : la volonté de pouvoir personnaliser leurs dons. Ce souhait est mis en évidence dans la dernière étude réalisée par ODOXA dans le cadre de l’Observatoire des solidarités (1).


D’ailleurs, lorsque l’on interroge ceux qui donnent sur leurs motivations : la première des réponses c’est le besoin d’agir, puis viennent l’habitude, l’émotion et la sollicitation.


Les plateformes de cagnottes solidaires répondent à ces attentes en offrant une visibilité à des causes qui le seraient nettement moins sans ces supports de diffusion.


On a même vu des cagnottes se créer pour contribuer au paiement des frais de justice de personnes mises en cause par la justice. Vous n’avez sûrement pas oublié le scandale de la cagnotte créée pour aider le gilet jaune Christophe Dettinger, condamné pour avoir frappé des gendarmes lors d’une manifestation.


Ces cagnottes se distinguent des campagnes de crowfunding puisque les contributions qui y sont faites ne donnent droit à aucune contrepartie pour ceux qui les versent.

Il s’agit de contribuer à une cause en effectuant un don au profit d’une ou plusieurs personnes, ou d’un organisme le plus souvent une association.


Mais face à cette nouvelle tendance, une question se pose !


Comment traiter fiscalement les revenus tirés de ces cagnottes chez celui ou celle qui les perçoit, lorsqu'il ne s'agit pas d'une association autorisée à recevoir des dons.


Malheureusement, comme on pouvait s’en douter, le droit fiscal ne s’est pas encore adapté à cette tendance. Il n’existe donc aucune disposition légale propre aux dons perçus via des cagnottes en ligne.


Nous devons donc analyser les règles fiscales générales relatives aux dons et libéralités et les appliquer à ces nouvelles formes de solidarité.


En premier lieu, posons le principe de droit qui guidera notre analyse dans cet article :

  • sont imposables, au titre des droits de mutation, toutes les libéralités qu’il s’agisse de dons ou de legs

Cela signifie, que celui ou celle qui perçoit un don, doit verser à l’Etat un droit proportionnel au montant perçu.


Pour autant, comme bien souvent, le droit fiscal connaît des exceptions à ce principe.


Les dons exonérés : dons à certaines victimes et présents d’usage


Tout d’abord, la loi prévoit un dispositif d’exonération spécifique pour certaines personnes bénéficiaire de dons.


Ainsi, les dons en numéraire faits aux victimes d’actes de terrorisme ou à leurs ayants droits sont exonérés de droits de mutation, tout comme les dons faits aux militaires, sapeurs-pompiers, policiers, gendarmes ou douaniers blessés lors de l’accomplissement de leurs missions (2).


Par ailleurs, il existe une autre exception à l’imposition des dons : elle concerne les présents d’usage.


Mais qu'entend-on par présents d’usage ?


Le législateur n’ayant pas défini ce terme, on doit notamment se référer à la jurisprudence civile pour obtenir des précisions quant à cette notion : il s’agit selon les juges “des cadeaux faits à l'occasion de certains événements, conformément à un usage, et n'excédant pas une certaine valeur(3).


La doctrine fiscale, à travers le BOFIP, fait quant à elle référence “aux cadeaux faits aux enfants mineurs par des membres et des amis de la famille(4).


On en déduit que la qualification de “présent d’usage” est une question de fait, qui s’apprécie en fonction des circonstances entourant le don.


Il n’existe en effet aucune règle légale ou doctrinale quant à la proportionnalité du don au regard de la fortune ou des revenus du donateur mais les juges se réfèrent assez fréquemment au plafonds suivants :

  • le don ne doit pas excéder 2% du patrimoine du donateur, ni 2,5% de ses revenus annuels.

Ainsi, la jurisprudence a pu admettre que les dons en numéraire réalisés à l’occasion des fêtes de Noël constituaient des présents d’usage alors même que leurs montants étaient conséquents (plusieurs milliers d'euros dans certains cas).


Alors peut-on envisager que les dons réalisés via des plateformes en ligne puissent être qualifiés de présents d’usage, et échappent ainsi à l’impôt ?


Un tel raisonnement semble risqué dans la mesure où, à ce jour, aucune disposition légale, doctrinale ou jurisprudentielle ne permet de le valider.


Bien entendu, s’il s’agit d’une cagnotte en ligne créée à l’occasion d’un évènement familial ou personnel (mariage, anniversaire, naissance, obtention d’un diplôme, ...), l’argument pourrait prospérer si le montant des dons est raisonnable au regard de la fortune des contributeurs.


Mais, dans tous les autres cas, comment assimiler ces dons à des présents d’usage ?


Si le fait que chacune des contributions à elles seules soient d’un faible montant pourrait constituer un argument, a contrario l’origine des contributions, provenant bien souvent de personnes ne faisant par partie de l’entourage du bénéficiaire, pourrait s’opposer à un tel raisonnement. Les dons qualifiés de présents d’usage étant en principe le fait de membres de la famille ou d’amis proches.


Dès lors, hormis les victimes pouvant bénéficier d’une exonération dans certaines circonstances, et le cas des présents d’usage, qui comme on a pu le voir, est très restrictif, le législateur n’a pas prévu d’exonération fiscale pour les dons en numéraire.


En conséquence, dès lors qu’un don n’est pas réalisé au profit d’une association habilitée à en recevoir, il doit, en principe, être soumis à l’impôt chez son bénéficiaire.


Le coût fiscal des cagnottes en ligne


Le tarif des droits de mutations varie en fonction du lien de parenté existant entre le donateur et le donataire. Bien souvent, dans le cas des cagnottes en ligne, les dons proviennent de personnes non parentes, ce qui signifie que c’est le tarif maximum qui sera appliqué, à savoir 60% de la somme perçue.


Et, il n’existe aucun mécanisme d’abattement ou de réduction des droits susceptible de limiter cette imposition.


Ainsi, si vous percevez par le biais d’une cagnotte en ligne une somme de 50.000€, vous devez en principe verser à l’Etat, au titre des droits de mutation, la somme de 30.000€.


LEETCHI, un des leaders du secteur, définit le terme “don” en indiquant que celui-ci peut-être qualifié de présent d’usage, de don manuel ou de libéralité. Cette qualification relevant de l’appréciation des participants et bénéficiaires au regard de leurs situations personnelles. Est également rappelé dans les CGV l’obligation pour les participants et bénéficiaires de se conformer aux dispositions légales et fiscales qui s’imposent à eux.


Compte tenu de l'inadaptation des règles en vigueur aux dons collectés en ligne, on ne peut que souhaiter une évolution du droit sur ce sujet, par exemple à travers une extension du champ des dons exonérés à d’autres victimes d’infractions.


Pour ceux et celles qui sont amenés à percevoir des cagnottes de ce type, le recours à un rescrit fiscal peut s’avérer utile pour sécuriser la collecte et maîtriser les coûts fiscaux inhérents à celle-ci.


La procédure du rescrit permet d’interroger l’administration fiscale par écrit afin d’obtenir une prise de position formelle et opposable en cas de contrôle.


Pour finir cet article, abordons le sort du tiers qui gère une cagnotte pour le compte du ou des bénéficiaires : en tant que titulaire de la cagnotte, l’administration fiscale peut considérer que cette qualité lui confère également celle de redevable des droits de mutation dus au titre des dons, puisqu’en principe, c’est le gestionnaire de la cagnotte qui dispose du pouvoir de récupérer les fonds une fois la cagnotte clôturée.


Le fait que les fonds puissent transiter par le compte d'un tiers qui les reverserait ensuite aux bénéficiaires désignés lors de la mise en place de la cagnotte pourrait être mal interprété par l'administration fiscale. Aussi, il convient de faire preuve d'une extrême vigilance avant d'accepter un tel rôle.

0 commentaire

Comments


bottom of page